Vous ne le savez peut-être pas, mais la scène des festivals de musique est de plus en plus variée au Québec. On n’y trouve non seulement des prestations musicales, mais aussi des ateliers de bien-être où les participants peuvent assister à des ateliers de yoga, d’exercices de respiration, de méditation et de cercles de discussion. Serait-ce une simple importation de la culture New Age américaine? ou plutôt une réémergence de la contre-culture hippie? Il est facile d’étiqueter un mouvement populaire lorsqu’on ne connaît pas. C’est pourquoi je vous propose de me suivre dans cette entrevue où je discute avec Maxime Boivin, co-organisateur du rassemblement Love ‘n’ Light à Tingwick (Warwick), qui a un franc-parler et qui n’a pas peur d’exposer le fond de sa pensée. L’entrevue a lieu sur le site du rassemblement, au Centre-du-Québec, le dimanche 12 juin 2022, en fin d’après-midi, juste après la fermeture officielle du festival.
XAV HAREL: Salut Maxime, parle-moi un peu de toi et dis-moi qu’est-ce qui t’as amené à organiser le festival Love ‘n’ Light.
MAXIME BOIVIN: Un besoin. À la base le besoin de transmettre ce que je ressens, ce que je comprends de la vie, ce que je pense que tout le monde a à l’intérieur d’eux-mêmes. Certaines personnes ont seulement besoin des conditions propices pour être en phase avec ce sentiment et je pense que c’est en allant s’harmoniser avec ce sentiment profond qu’on change le monde, qu’on s’élève.
J’avais un besoin de… un besoin de faire ce qui a à être fait! (rires) Je pense qu’on a besoin de se réharmoniser face à la terre. Elle est en train de nous démontrer que nous, en tant qu’êtres conscients, devons l’honorer et aussi honorer ce que nous sommes. Il y a aussi certains «jeux » auxquels on ne doit plus jouer. Il faut réinventer de nouveaux «jeux» et je pense qu’on est encore dans la phase où on redécouvre la nature de ce jeu-là. Moi, je vois qu’on se trouve à l’étape où on doit préparer l’humain avant de créer la communauté, et c’est un peu ce que je voyais en fin de semaine : un camp d’entraînement à humain.
Un camp d’entraînement à humain? (rires) Ça sonne bien!
Tant qu’à avoir gaspillé du gaz ou manqué du travail pour se rendre jusqu’ici, qu’est-ce qu’on fait rendu là? Est-ce qu’on fait le party jusqu’à 6 heures du matin? on écoute de la musique transe sans rien faire? ou bien, on organise un horaire où on enchaîne toutes les connaissances, tous les plus beaux professeurs, toutes les plus belles disciplines, tous les plus beaux outils pour pouvoir ensuite aller répandre ça partout? Je pense qu’en faisant ça, un moment donné, ça crée un «switch» et ça va être de plus en plus beau dans notre société. Je le ressens, je l’ai vu ici.
C’était quoi les intentions derrière l’organisation de l’évènement?
Que les gens, par le fait d’être en communauté dans la nature, puissent atteindre des états de «présence», des états de bliss (ou de béatitude). Et ces états-là, je pense que c’est l’ultime médecine qui réharmonise ce qu’on est ; on recommence à mieux canaliser toute la lumière qu’on est et on arrête de détruire notre environnement. Donc moi, c’était vraiment ça, que les gens puissent, sans pression extérieure, mais par d’eux-mêmes, expérimenter un moment présent qui leur permette de gouter à l’extase pour comprendre que ça existe. Après ça, peut-être se poser la question sur comment en générer plus. Là vient l’excitation d’inclure les pratiques qu’on a enseignées. J’avais aussi remarqué que de seulement être en communauté dans la nature, après un temps, vient une certaine harmonie. Comme demain, ceux qui resteront sur le site après la fermeture vont ressentir l’unité.
Ah oui? C’est sûr qu’à la fin, lorsqu’il y a moins de gens, j’imagine que ça crée encore plus un sentiment de communauté parce qu’on connait mieux les gens.
Et c’est bien la première édition du festival?
Ouais… (rires)
Et combien de personnes sont venues en fin de semaine, environ?
Au moins 350.
T’es-tu content?
Ben oui! Je n’avais pas tant d’attentes, je ne voulais juste pas l’échapper et j’espérais ne pas trop endommager le terrain par trop de monde. Je pense qu’on a trouvé l’équilibre.
Parce que c’est un terrain privé qui a été loué, c’est ça?
Oui, il y a de la place, on s’est étalés, on a bien fait ça. Mais il y en a qui disent: «On va en refaire plein et on va en faire un plus gros». Ouin, mais déjà, je n’ai même pas parler à tout le monde. Un plus gros encore? Je trouve qu’un festival où on peut croiser le regard de tout le monde, ça permet d’aller plus loin. Et je pense que pour aller à la profondeur où on est allés, en gardant un environnement sécuritaire, on a atteint le nombre maximum de participants.
Quel est le genre d’ateliers auxquels on pouvait assister?
C’est inspiré de tout ce que j’aime, que j’ai découvert dans les derniers temps: de l’acroyoga (yoga qui combine l’acrobatie), de la danse, du body music (musique corporelle), du breathwork (respiration profonde) et le chant. Tout ce qu’on a fait, c’est tout inspiré de ce que j’aime (rires).
C’est quoi le genre de musique qui avait dans la programmation?
Des DJs, de l’électro, il y avait de l’acoustique…
Est-ce qu’il y avait plus de musique électronique? ou tu dirais que c’était pas mal 50/50?
C’était bien équilibré. Moi, j’aurais mis pratiquement pas de musique électronique le soir, j’aurais fait des sound baths.
Des…?
Des bains de son.
Ça c’est quoi dans le fond? Peux-tu expliquer un peu en quoi ça consiste?
Des bains sonores, c’est des chants avec des bols de cristal, des didjeridoos, des instruments très relaxants qui calment les gens. Comme ça, on peut aller se coucher tôt et, le lendemain, on a plus d’énergie, on se lève tous à 6h du matin ensemble en forme et on peut profiter de la journée. C’était ça mon intention initiale, mais je me rends compte que dans une dynamique de 350 personnes, c’est dur. Et on a dépassé le couvre-feu un peu…
C’est sûr que ça attire de savoir qu’il va y avoir des DJs.
Oui, les gens ont besoin de ça. C’est comme quand je suis monté en haut à 11h15 et je voyais tout le monde délirer devant le DJ.
Ah, t’étais supposé l’arrêter?
Ben, c’était moi le responsable. J’ai essayé, mais là, un moment donné, j’ai laissé les choses être.
Donc, ce n’était pas vraiment un rave?
Maxime : Non. Il y a eu un DJ pendant 2 heures.
Et t’avais un couvre-feu, c’est ça?
Maxime : Techniquement. J’ai arrêté l’électricité à 1h du matin.
Parce que dans le fond, tu as dis il y avait des familles? Donc, c’était ouvert aux enfants?
Oui, mais j’ai fait le tour honnêtement et les enfants ont tellement joué toute la journée qu’ils étaient brûlés, ils se sont tous endormis. Donc, ça s’est vraiment bien fini.
Donc, si j’ai bien compris, c’était un festival sans alcool?
Officiellement oui, mais officieusement il y en avait. Mais c’était une consommation très responsable à cause du fait qu’on l’interdisait. Je ne voulais pas voir des cannettes de bière partout.
Mais il n’y avait pas de vente d’alcool?
Oui, c’est ça.
Pourquoi sans alcool?
Parce que personnellement, c’est quelque chose que je ne supporte pas. Je n’aime pas ça, je n’aime pas cette ambiance-là. Donc je n’irais jamais dans un party où le focus principal c’est de boire de l’alcool. Et je trouve que dans l’énergie, ça crée une dissonance parce qu’on s’élève toute la journée, et après ça, on se parasite avec des choses qui nous font redescendre.
Et toi, pourquoi tu penses que les gens dans les gros festivals ont besoin de boire de l’alcool?
Parce qu’il n’y a pas la pratique qui vient avec le festival pour ouvrir le cœur qui fait en sorte que tu n’as plus besoin d’alcool après et que tu es juste bien. Donc, justement, si les autres festivals veulent prioriser le bien-être, et bien, ils mettraient en place une sadhana qui est comme une pratique de yoga. Au moins ouvrir l’espace le matin avec une pratique similaire. Juste ça, ça réduit les gens qui ont envie de boire parce qu’on s’harmonise. Et lorsqu’on est harmonisés, tout va mieux. On a moins besoin d’aller chercher des choses qui sont fortes. Mais, évidemment, les gens ont le droit de faire ce qu’ils veulent.
Oui c’est ça, les gens sont libres quand même. Je pense qu’il y a une grande tolérance en général.
Ici? Ben oui, les gens font ce qu’ils veulent… ou presque, dans le respect. Mais je pense qu’après un certain niveau de conscience, ça s’auto-régule.
Changement de sujet. Est-ce que tu penses que certains Québécois vont se sentir dépayser s’ils viennent à un festival de ce genre?
S’ils se sentent appelés, non. Parce que c’est ce qu’on est en tant qu’humain. Même si j’en ai vu des gens au début qui étaient vraiment confus, maintenant c’est les gens les plus ouverts que j’ai vus.
Tu as vu ce processus-là se dérouler devant tes yeux?
Au début, ils étaient vraiment gênés et à la fin, ils me flattaient durant mes exercices de respiration! On avait brisé tous les tabous qu’il y avait. Je pense que face à la vérité, tout le monde s’auto-régule.
Et c’est quoi cette vérité-là?
Qu’on est faits pour être en communauté dans la nature et jouer.
(rires) Comme des enfants un peu?
Les enfants prennent soin de la terre et c’est ce qu’on est vraiment. Et quand tu es exposé à ça, au début tu as une résistance parce que c’est loin de ton mode de croyances, mais un coup que tu l’expérimentes, tu te rends compte que, oui, c’est ça la vie.
Il faut que tu l’expérimentes.
C’est un camp d’entraînement. On vient se réapprovisionner pour repartir.
Selon toi, est-ce que c’est juste un festival pour les marginaux de la société?
Non, mais c’est sûr que sans alcool, tu viens d’en enlever pas mal!
(Rires) C’est vrai. Ça ne va pas attirer certaines personnes.
C’est un peu pour ça qu’on a pris cette décision.
J’en ai une bonne pour toi. Est-ce qu’on peut dire qu’on assiste un peu à une réémergence du mouvement hippie?
Je ne pense pas que le mot hippie a été auto-proclamé. Je pense que ç’a été proclamé par la dualité de quelqu’un qui ne comprenait pas ce que c’était. Je ne sais pas d’où vient le terme hippie, peut-être du latin. Mais je ne pense pas que c’est un mot qui identifie grand-chose à part une insulte.
Tu le vois comme une insulte?
C’est que ce terme-là a probablement été nommé par un bureaucrate qui ne comprenait pas c’était quoi… Dans le fond, qui a trouvé le terme? Par quelqu’un qui t’aimes et qui est content ou par quelqu’un qui ne te comprend pas?
Mais tu sais un peu ce qui s’est passé dans les années 70?
Pas tant non… ils ont essayé de faire ça, mais ce n’était pas le bon moment. Les gens n’étaient pas assez écœurés, ils étaient encore trop confortables. Donc, la vie a fait en sorte qu’ils soient encore plus inconfortables. Comme ça, au moment où on allait recommencer ça, les gens allaient dire oui, parce qu’ils allaient vouloir changer. Avant c’était encore le statut quo, on revenait de la guerre et tout allait bien.
Penses-tu que la crise qu’on a vécu ces deux dernières années a changé quelque chose?
Ç’est ça qui a été l’étincelle à tout le monde. Je me suis reposé des questions. Ç’est ça qui a au moins créé une certaine remise en question : qu’est-ce que je suis? qu’est-ce que je veux? Parce qu’il y a probablement plein de gens qui ne se sont jamais posés ces questions-là, où on était confrontés un peu à la vie, à la mort, vaccin ou pas vaccin. On n’a pas eu le choix de faire des choix et ceux qui ont choisi de se lever, ils se sont levés à fond.
Penses-tu que le festival a profité un peu de ça? du fait que les gens ne se sont pas vus depuis longtemps ou n’ont pas été en communauté?
C’est sûr, on a besoin de se voir, on s’est fait interdire de se voir pendant l’hiver et là, on commence l’été. Donc, je voulais mettre ça au début de la saison pour qu’au moins tout le monde ait pris des bonnes habitudes de festival.
Ok, cette question-là, tu vas peut-être la trouver un peu drôle. Qu’est-ce que tu répondrais aux gens qui vont voir le festival de l’extérieur et qui diraient: «Ah ben, dans le fond, c’est un festival New Age ou un festival de Nouvel-Âge?»
J’aimerais mieux dire : festival de vieille vérité.
De vieille vérité! (rires)
Nouvel Âge, encore là, ça fait je trouve…
Prétentieux?
Non, ça fait comme si c’était nouveau, mais c’est pas nouveau!
J’ai vu qu’ont mettait beaucoup l’accent sur la conscience, la conscience, la conscience, mais qu’est-ce que ça veut dire la conscience pour toi?
Je pense que c’est d’être présent dans ce qui est sans le nier, de ne pas avoir de résistance face à la résistance. La conscience c’est ça, c’est juste d’être présent. De ne pas être dans le déni. Quand tu es dans le déni, tu ne peux pas être conscient de ce dont tu n’es pas conscient. Tu es dans l’inconscience inconsciemment. C’est vraiment dur! Donc, être conscient c’est quoi? Je ne sais pas. Grande question…
Les gens ici se croisent avec un grand sourire, ils se disent bonjour ; ce n’est pas nécessairement le cas dans les autres festivals. Pourquoi ici c’est différent?
Parce qu’on chante ensemble le matin! C’est aussi simple que ça.
(Rires)
C’est ça pareil! Si tu n’as pas une pratique dans ta journée pour activer les fonctions de ton système nerveux parasympathique, c’est seulement ton système nerveux sympathique qui reste actif. Ce n’est pas nécessairement mauvais! Si tu fais un entraînement de CrossFit (entraînement athlétique de haute intensité) pendant une heure, tu vas être plus dans le sympathique, mais il faut aussi balancer avec le parasympathique.
C’est quoi déjà le système parasympathique?
Je ne suis pas un docteur, mais c’est relié à l’état nerveux du corps. Quand tu es calme et détendu, c’est plus ton système parasympathique qui est actif. Et quand tu es stressé, c’est plus ton système sympathique qui est actif.
La clé, dans le fond, c’est juste de savoir comment notre corps fonctionne. Mais j’ai l’impression que le système dans lequel on est profite beaucoup plus si notre corps n’est pas en train de bien fonctionner. Donc, on n’a pas nécessairement facilement accès aux informations pour savoir comment il fonctionne. Mais un coup qu’on se rend compte comment c’est simple, ça coûte pas une « maudite » cenne d’être bien.
Et là, il n’y a plus d’argent qui se fait.
Il n’y a plus d’argent qui se fait, donc il y a un système qui ne veut pas mourir. Mais je ne pense pas que c’est un individu qui est méchant, c’est un ensemble de…
Xavier : …de structures?
Oui et c’est juste des habitudes de vie où on cherche la facilité, on cherche la consommation rapide, on gaspille tellement notre temps, notre énergie et notre vie. Tous les «cossins» qu’on s’achète parce qu’on est malheureux, si tu fais des pratiques qui te détendent, tu n’as plus envie de les acheter. Tu as moins besoin de travailler. Si tu travailles moins, tu développes plus d’art et ton art est unique. Si tu mets tes talents au service de la communauté, tu finis par être dans l’abondance.
Ici, je trouve qu’on sent un sens de la communauté. Pourquoi tu penses?
Très bon point. Ça c’est comment on ouvre l’espace. Au début on était deux organisateurs sur le terrain et on était dans l’unité. On jouait, on s’amusait. Quelqu’un d’autre arrivait et on faisait grossir le noyau, c’est facile. Donc, nous autres, ici, on est arrivé lundi et on se faisait des cercles.
Lundi, donc 5 jours avant l’ouverture officielle?
Oui, pendant le montage. Et il y en avait qui n’était pas contents et disaient : «On est censés travailler, moi habituellement dans les festivals, on travaille tout le temps, on chante pas le matin ensemble.» Mais je leur disais qu’il ne comprenait pas le processus. Donc, on a ouvert l’espace ensemble lundi, on a fermé le soir, on a ouvert mardi, on a fermé le soir, etc. Donc, on a créé des habitudes de communauté et on a seulement élargi le noyau autour du noyau principal qui avait déjà accès à cette «unité». Et ça s’est répandu naturellement parce que si tu verses de l’eau dans un bol d’eau, l’eau devient eau et elle se souvient qu’elle est eau.
C’est ça la communauté : il faut que tu passes par le «je» pour accéder au «nous». Quand tu fuis le «je» parce que tu n’aimes pas le «je», tu n’aimeras pas plus le «nous».
Ma devise c’était : «un “moi” bien incarné pour un “nous” viable». Donc, c’est un peu ça qu’on a essayé de faire. C’était une belle expérience en fin de semaine!
Est-ce que tu es satisfait du résultat?
Vraiment! J’ai envie de refaire un festival dans deux lunes.
Dans deux lunes?
Dans deux pleines lunes. C’est comme dans le temps, les mois c’est des lunes.
(rires)
Est-ce que tu vas faire une deuxième édition du festival Love ‘n’ Light?
Dans deux lunes! (rires) C’est le temps, c’est fini le «niaisage». On change, on se transforme. Ce n’est plus le temps d’entretenir un système qui est désuet. La prochaine édition, ça va être d’aller plus en profondeur en communauté. À la limite, je pense même à ne pas mettre de kiosques de nourriture pour que les gens n’aient pas le choix de se débrouiller pour se faire de la bouffe ensemble. Amène ta bouffe et cuisine avec les autres ensembles. Ça va créer un esprit de famille beaucoup plus fort.
Tantôt, il y a quelqu’un qui a parlé du «nouveau monde». Est-ce que ça te parle ça?
Nouveau monde… ça dépend, le monde est tout le temps nouveau. Si tu regardes dans le présent, chaque moment est tout le temps nouveau. C’est tout le temps un nouveau monde. C’est peut-être plus nos compréhensions de l’ancien monde qui sont appelés à être détruites. Et quand tu n’as plus de croyances en lien avec l’ancien monde et bien, tu es dans le monde de maintenant. Et ce festival-là, c’est le monde de maintenant. Et je trouve que le «nouveau monde», c’est encore un peu dualiste. C’est comme si «il s’en venait». Non, non, c’est le monde du maintenant, c’est là.
C’est là.