Ceci est la 2e partie de l’entrevue entre Steve Breton, alias DJ YvY, et moi, Xav Harel, le 12 septembre 2023. L’échange oral a été adapté à l’écrit afin de faciliter la lecture, tout en préservant du mieux possible les expressions québécoises et les emprunts à l’anglais.
Xav: Donc, dans le fond, quand tu commences à performer en tant que DJ Nuckley, t’as ton logiciel, mais ça ressemble à quoi tes premières performances? Tu fais ça où? Tu fais-tu plus du mixing ou tu incorpores tout de suite de la composition dans tes mix?
DJ YvY: Ben, quand on a commencé, on a fait notre premier événement tout de suite après qu’on ait lâché le cégep. On a fait notre premier événement inaugural de nos productions d’événements qui s’appelait à l’époque: Plasmatrix.
C’était comme un mélange entre la matrice et le plasma. Et le plasma, ça symbolisait un peu le plasma énergétique de notre corps humain, le corps éthérique. Pis la matrice, ça symbolisait plus la matrice du monde dans lequel on vit, un peu comme le film Matrix, le monde virtuel, l’idée qu’on vit dans une matrice programmée…
Et Nuckley est venu en même temps que Plasmatrix; c’était comme un jeu de mots, une fusion des mots: nouveau ou new en anglais, nucléaire et clé; alors je m’inspirais de ça dans mes mix.
En fait, tout ce que j’aimais musicalement à ce moment-là, je l’archivais et le jouais dans les party qu’on organisait. On mixait surtout, rare qu’on incorporait plus que les platines. On voulait s’en tenir au minimum et en faire notre maximum.
Avec qui t’as fait ça?
Avec Philippe Bergeron. Pis lui, son nom de DJ, c’était Freebass devenu par la suite DJ Solar Prophecy.
Ça fait que là, vous aviez organisé les productions Plasmatrix. Et vous étiez basés où?
On faisait ça à Sherbrooke.
Ok! Et les événements étaient aussi à Sherbrooke? Des événements plus urbains?
Exact, ouais. Et les environs.
Et vos opérations se faisaient à quel emplacement?
On faisait ça à domicile. On s’était pas pris un local parce qu’on voulait que la production soit à domicile, qu’on ait notre équipement, notre studio, qu’on fasse de l’événementiel, pis qu’on fasse runner des artistes locaux et internationaux.
Mais pour notre premier événement, on avait loué une espèce de maison-manoir à côté de Stoke. Il y avait une piscine creusée intérieure. Une très belle place! C’était un endroit pour des cours de natation privés et on avait réussi à le louer pour faire notre 1er événement inaugural. Donc y’avait moi, Philippe et deux autres artistes. J’ai même gardé le flyer de cet événement-là!
Ah ouais! C’était en quelle année?
C’était en 2000. On avait lâché le cégep et une semaine après, on a starté ça pas mal rapidos. Ça nous a pris deux semaines d’organisation. Pis quand l’événement a commencé, on a eu environ 450 personnes dans la salle.
T’es-tu sérieux?
Ouais, ça s’est rempli d’aplomb; c’était vraiment un bel événement qui a roulé très bien.
Donc, cet événement-là, c’était sous DJ Nuckley et en 2003, ton nom de DJ est devenu YvY?
C’est arrivé un peu plus tard que 2003, au moment où on a croisé Adam Taschereau.
Adam Taschereau, c’est où tu l’as rencontré?
Au Magog. C’est un bar qui s’appelait Le Magog à Sherbrooke, sur la Wellington Nord. Et lui, il organisait des p’tits événements «pré-OpenMind» psychédéliques, un peu plus trance, mais plus «douillet». Il avait commencé à tâter la scène via TrancePlants, sa compagnie de plantes médicinales et chamaniques. Dans le fond, sa compagnie finançait les événements de musique et procurait en même temps des plantes aux gens. Il venait combiner les deux.
Il venait d’arriver sur la scène; c’était son deuxième événement. Son premier événement, on n’en avait pas eu vent. Mais son deuxième, vu qu’il était public dans un bar à Sherbrooke, on en a entendu parler. On a donc commencé à se parler, pis c’est là qu’on s’est dit: «Heille! On va faire teamwork là-dessus.»
Y’avait clairement une énergie compatible avec moi pis Phil à ce moment-là. On s’entendait vraiment bien sur nos principes et notre philosophie. On s’en allait dans la même voie.
Parce qu’en fait, nous, on faisait des communiqués de presse, on contactait des agents de presse. On faisait ça pour qu’au moment où on allait organiser des événements, y’allait avoir un article dans le Journal de Montréal et dans les journaux de rue pour venir sensibiliser les gens, leur faire comprendre que les événements qu’on faisait, nous, en tant que production Plasmatrix, c’était exempt de drogue.
Mmm ok!
Donc, on faisait la promotion Consommer avant l’événement et on disait: «Venez à l’événement pas de drogues». On ne permettait pas la vente de drogues dans l’événement.
Ce qui était un esti de problème. Dans ce temps-là, c’était très complexe; c’était comme un combat. Ça voulait rentrer, de tout bord tout côté, autant les pushers que les motards qui venaient nous menacer. «Oh non, il va y avoir mon pusher dans ton événement, sinon…» On en a vu en masse… hahaha.
Y’avait beaucoup de mafia dans les raves?
Ben oui, ça va main dans la main. Souvent, on pouvait pas faire un événement si y’avait pas un deal avec la mafia locale. Eux autres, ils venaient écouler leur stock dans ton événement ou sinon ils venaient faire de la bisbille.
Oh my god! C’est intense!
Ouais.
Ayoye, mais ça, c’est une dimension que j’avais jamais pensé parce que, aujourd’hui, y’a des festivals qui se font un peu partout; tsé, y’a aucun stress.
C’est pu la même affaire pantoute. Mais y’en a toujours, c’est sûr, juste différemment.
Donc, dans le temps, la mafia était ultra-impliquée là-dedans?
Elle était intrinsèquement liée avec les producteurs. Il fallait que tu te mettes chummy avec eux parce que rares sont ceux qui pouvaient faire des raves underground de grosse envergure d’environ 500 personnes et plus, et réussir à trouver un endroit pour le faire.
Si tu voulais organiser un p’tit rave de 100-200 personnes, t’avais pas tant de problème parce que t’étais un petit joueur qui dérangeait pas. Par contre, au moment où t’avais un big venue, pis que y’avait du monde à messe, là, les pushers voulaient être là; ils savent que y’a du cash à faire.
À 10$ la pilule pour 1000 personnes… ben ça fait 10 000$ dans leurs poches…
Donc, faire des raves sans drogue, j’imagine que c’était un peu dur à réaliser dans ce contexte-là.
C’est clair, mais disons qu’on était pas mal motivés. On faisait des campagnes de sensibilisation pour des raves sans drogue et on peut dire que j’étais bien placé pour faire ça parce que justement, j’en consommais pas.
Pis j’avais rien contre ceux qui en consommaient; c’est juste que dans les faits, y’avait beaucoup de coupage; parfois y’avait même de la poudre de vitre, de la poudre de perlimpinpin… Bref, t’avais pas des substances pures, ça venait des laboratoires clandestins.
Ça fait que pour la santé, l’intégrité et le respect des gens, je leur disais: «Faites vos devoirs, faites vos recherches, prenez pas n’importe quoi qui se promène dans la rue. Essayez de connaître la provenance de vos substances.»
Parce que dans ces années-là (fin des années 90), y’avait beaucoup de ravers qui pétaient des syncopes ou qui mourraient carrément de tachycardie. La personne pouvait prendre une dose, deux doses, trois doses — pis parfois c’était mal dosé —et donc, elle pouvait avoir de mauvaises réactions. C’était pas anodin d’entendre que, pendant un rave, y’avait quelqu’un qui en était mort.
Oh my God…
Ouin…
Ben justement, ce que tu viens de dire m’amène à mon intention derrière notre entrevue. Dans mes recherches, j’essaye de comprendre comment ça se fait qu’on soit parti des raves plein de drogues, à des festivals transformationnels, aujourd’hui, en nature, où les gens ne consomment pas et où ce n’est pas encouragé. Je réalise que vous, vous étiez vraiment des pionniers de ça.
Ouais, disons qu’à Montréal, les organisateurs de raves faisaient venir des sommités internationales et ils avaient des systèmes de son à tout péter. Donc, nous, on s’en tenait à développer le marché de la région de l’Estrie au Québec. Ça fait que le prochain événement qu’on a fait, ça s’appelait l’Autre Voie.
L’Autre Voie… en français? Ah ouais!
Ouais, le flyer était tout en français. On avait même écrit un passage philosophique; c’était vraiment space. Je l’ai encore ce flyer-là.
Il y avait un p’tit bébé dans un éprouvette de futuriste et à côté, y’avait une sorte de scientifique fou qui était en train de concocter quelque chose avec sa technologie.
Et l’événement nous avait coûté à peu près 12 000$ à organiser de nos poches. Et on s’est planté totalement! Hahaha!
On avait loué la salle Abénaquis de Sherbrooke, qui était une salle de quilles. Mais ça avait été compliqué parce que la propriétaire avait de la misère à faire confiance à l’idée de faire un rave.
Donc, les communiqués de presse qu’on avait écrit l’avait mis en confiance. Faque ça nous avait aidé à ouvrir des portes pis à créer des contrats pour réserver des salles.
Mais qu’est ce qui est arrivé, c’est qu’on l’a fait au mois de février et on a eu une tempête de verglas. Juste pour te donner une idée, 90% de notre clientèle venait de l’extérieur de l’Estrie… Donc, y’a quasiment pas un chat qui a pu traverser la tempête.
Y’a fallu qu’on annule les billets et qu’on rembourse tous ceux qui avaient acheté des billets d’avance. On avait prévu 1000 personnes à l’événement et au final, on en a eu à peu près 200.
Oh… et c’était en quelle année l’Autre Voie?
En 2001. Ça, ça nous avait fait mal.
Mais sinon, ça s’est quand même bien passé?
Oui, ça s’est super bien passé, c’était un chef-d’œuvre comme événement en soi. Le son et les DJs étaient impeccables. Ceux qui dansaient étaient libres de danser comme ils voulaient parce que y’avait tellement d’espace! Les gens pouvaient s’y donner à cœur joie et danser comme ils veulent. Ça respirait dans la salle.
Mais ouais, disons que y’avait un p’tit problème côté financier après ça.
Au niveau spiritualité, dans ce genre d’événement-là, à quoi ressemblaient les thèmes spirituels, les conversations? Est-ce que les gens faisaient du yoga dans ce temps-là? ou c’était pas vraiment à la mode encore? Bref, de quoi les gens parlaient?
C’est une bonne question parce que, à ce moment-là, malgré le fait que j’étais quand même conscient du mouvement yoga et intéressé par la spiritualité, les deux premiers événements qu’on a fait étaient purement musical; y’avait pas de volet autre que la musique des DJs et des artistes. On avait de la projection vidéo, avec un peu d’art de scène, mais ça se limitait pas mal à ça.
Faque la «cérémonie» en tant que telle, c’était la musique.
Ouais c’est ça, ça se résumait pas mal à ça, à ce moment-là.
Parce que notre maturité en tant qu’artiste événementiel était pas encore rendue au niveau où on pouvait intégrer cet aspect spirituel de cérémonie avant l’événement, pendant et après, un peu comme on le voit dans les festivals d’aujourd’hui, où on est plus dans la contemplation et dans le sacré.
En tout cas, en général, à ce moment-là, ça ressemblait à: le rave commence pis il finit. That’s it. Hahaha.
Mais en même temps, j’me dis, ça se comprend. Tsé, y’a eu les années hippies qui ont tellement été marquantes. Et après ça, y’a eu la génération X, un peu grunge, un peu punk qui voulait rien savoir de ce que leurs parents avaient fait.
Tout ce qui touchait aux hippies, la spiritualité, c’était comme: «Beuh… on veut rien savoir de ça; on veut notre génération à nous, pis nous, on est plus dans l’électronique, les raves, la technologie.» Et même Internet commençait à arriver…
Faque je peux comprendre qu’on ait pas envie, en tant que nouvelle génération de cette époque-là 90-2000, de retourner dans des trucs de nos parents. Je sais pas si ça fait du sens?
Ouais, ça fait du sens, certain. Je dirais aussi que si on était, par exemple, sur une plage de Goa en Inde, dans un endroit extérieur en nature, pis que y’a pas l’aspect encabané et technologique, le volet spirituel aurait peut-être plus sa place.
Par contre, c’est quand même dur de dire au monde: «À soir, on va faire une p’tite séance yoga juste avant que le DJ commence.» Ça aurait été comme: what the fuck?
Hahahaha!
Ça aurait pas collé pantoute. À ce moment-là, la nature de nos événements était telle que ça avait pas lieu d’être parce que c’était ni l’endroit ni le moment…
Je comprends. Mais par contre, il y a quelque chose d’autre que j’ai de la difficulté à comprendre. C’est comme si, avec les festivals d’aujourd’hui (2010 à 2024), on assistait à une rencontre des générations.
Parce que y’a eu les années hippies, ultra-intense au niveau spirituel; après ça les années raves, très techno, électro, des événement surtout à l’intérieur; pis là, tout d’un coup, on a des festivals de musique électronique à l’extérieur, avec yoga, cérémonies cacao, bols de cristal, name it.
C’est comme une mixture entre les deux. Je sais pas si ça fait du sens?
Ben c’est sûr qu’avec l’arrivée d’OpenMind, ça l’a changé la donne parce qu’avant…
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