Cette entrevue a été réalisée par téléphone entre Steve Breton, alias DJ YvY, et moi, Xav Harel, le 12 septembre 2023. L’échange oral a été adapté à l’écrit afin de faciliter la lecture, tout en préservant du mieux possible les expressions québécoises et les emprunts à l’anglais.
Note: À la base, je voulais utiliser le terme «festival conscient» dans mon titre, mais, quelques semaines avant de publier l’article, j’ai pris connaissance du terme «festival transformationnel», un terme que j’ai préféré car beaucoup plus précis pour caractériser ce genre de festival.
Bonne lecture!
Xav : Salut Steve, ça va bien?
DJ YvY : Heille heille, oui ça va bien, toi?
Ouais, ça va bien.
Donc, je t’explique un peu mon projet de recherche. J’ai décidé de faire des entrevues et des articles à propos de tout ce qui se passe d’alternatif, spirituel, conscient au Québec. Et quand tu m’as parlé la dernière fois de la scène des raves, j’ai réalisé à quel point je connaissais rien de ça, de la contre-culture de cette époque-là (années 90). Je connais plus les années hippies; il y a tellement d’informations là-dessus. Mais au niveau des raves, c’est encore plus underground, donc il y a moins d’informations. Est-ce que ça te dérange si j’enregistre la conversation pour la retranscrire après?
Non, pas du tout.
Parfait. Donc, ton nom d’artiste, c’est bien DJ YvY, prononcé «aï-vi»?
Exact.
Et c’est quoi ton historique avec la musique électronique; qu’est-ce qui a fait en sorte que t’as décidé de devenir DJ?
Et bien, initialement, mon nom d’artiste était DJ Nuckley entre 1996 et 2002. Après ça j’ai transité vers YvY; ça résonnait plus avec une fréquence que j’appréciais dans le fait de le dire et de l’entendre.
Moi, je tripais beaucoup sur la fonction entre la science, la métaphysique, la musique, les fréquences. J’ai touché beaucoup d’instruments, mais j’ai vraiment plus aimé les percussions parce que j’ai commencé à en jouer à 8 ans dans les cadets. J’ai aussi touché à l’aspect orchestral de la musique militaire. Finalement, durant mon adolescence, j’ai transité un peu plus vers le côté alternatif de la musique parce que je voulais que ça drive un peu plus, que ça vienne me chercher dans mes émotions, du genre tout ce qui tourne autour de Nirvana, Green Day, Offspring.
Vers la fin de mon adolescence, on peut dire que le DJing (prononcé dee-djay-ing) et les percussions ont commencé à se juxtaposer avec les vinyles, les synthétiseurs et les ordinateurs. J’aimais bien scratcher des vinyles chez mon ami Charles avec ses vieux Vestax (une marque de platine vinyle). On enregistrait des cassettes ou des CD-ROMs pour se faire des compilations qu’on jouait dans des petits parties organisées sur le coin d’une table.
À cette époque-là, j’en faisais assez souvent de façon privée, par exemple dans des salles de karaté ou dans des sous-sols d’églises ou carrément dehors dans le bois avec une génératrice. Je prenais vraiment la relève: je trouvais que y’avait pas assez de party de musique dans mon environnement, donc j’en organisais le plus souvent possible. Et de fil en aiguille, j’étais souvent rendu lui qu’on callait pour organiser des événements parce qu’à cette époque-là, je tripais sur le son et sur les speakers. Et même à la fin de mon secondaire, sur l’album des finissants, mes amis m’avaient fait un p’tit clin d’œil: «Steve et ses speakers… ne parle que de speakers…»
Je construisais des speakers de plus en plus gros et de plus en plus puissants, donc à la place d’en acheter, je ramassais ce que je pouvais. Juste avant le 1er juillet, les gens jettent tellement de cossins sur leur terrasse; moi, je ramassais des speakers qui étaient encore bon et je les démontais pour me faire de nouvelles caisses avec ça. Donc, j’avais une panoplie de speakers différents. J’avais comme un pêle-mêle de speakers avec des amplis; ça faisait un drôle d’effet; c’était particulier haha.
Et à ton école secondaire, est-ce que les jeunes écoutaient un peu de musique électronique?
Très peu. C’était plus du dance commercial et du R’n’B. Mais de la musique électronique de rave? Que dalle; on entendait pas ça. J’ai eu aucun soupçon de musique électronique pendant mon secondaire à l’école en tant que tel, ne serait-ce que des bribes de tracks qui pouvaient être repris ou remixés et passer à la radio étudiante, mais c’est tout. Y’avait pas une tangente intéressée envers ça de façon mainstream.
Mais j’avais une amie qui s’appelle Isabelle Boulanger, on l’appelait Bébelle, et c’était notre amie outgoer connectée avec l’underground, et c’est elle qui m’a initié à mon premier rave où j’ai eu la piqûre qui m’a fait sortir de la matrice en quelques sorte! J’y ai pris goût instantanément.
Tu t’en rappelles-tu c’est quoi?
Ouais, c’était Shockwave à Québec et il y avait le DJ Stormbass qui venait d’Europe il me semble. Il m’avait donné une cassette de son set qu’il avait enregistré live à partir de ses deux platines vinyles. Et j’ai gardé cette cassette-là très précieusement. On l’a écouté plusieurs centaines de fois en allant à d’autres raves; c’était très puissant comme mix.
Faque moi, ça m’avait vraiment marqué. Je me souviens que Shockwave ça portait très bien son nom parce qu’ils l’ont fait dans un entrepôt de go-kart. Ils ont mis un quart de million de watts dans leur système de son; c’était ridicule. C’était thérapeutique hahaha!
Et à ce premier rave-là, est-ce qu’il y avait déjà des substances comme ecstasy, speed, des trucs comme ça?
Ah ouais, effectivement, ça coulait à flot. Lightsticks aussi, avec tout ce qui est associé aux raves underground. C’était annoncé 24 heures à l’avance; y’avait pas d’internet; c’était vraiment du bouche à oreille et des flyers. C’est à peine si tu pouvais être capable de savoir y’était où le rave.
Ah ok, c’est pas la même réalité aujourd’hui.
Non, parce que dans ce temps-là, les autorités avaient comme un délai pour le mandat d’arrestation pour fermer la place. Quand c’est déjà en train de runner, ils peuvent rien faire. Ils peuvent intervenir pour la sécurité publique pour les pushers (vendeurs) s’ils voient la drogue circuler. Mais ils ne peuvent pas aller voir les organisateurs et fermer la place, à part si y’a vraiment quelque chose d’urgent ou d’incriminant.
Et est-ce que c’est à ce premier rave-là que t’as essayé de nouvelles substances?
En fait, moi j’étais reconnu comme étant l’extraterrestre de la scène parce que tous ceux avec qui j’allais raver, ils me disaient: «Qu’est-ce tu vas prendre?» «Ben, je prends rien.» «Hein, de quoi? C’est-tu une joke?» Nonon, les raves pour moi, c’est de l’euphorie naturelle, la place, le son, tout le monde et l’énergie, c’est bien en masse pour que j’entre dans l’égrégore du moment et que je me nourrisse de ça. Parce que me connaissant, tant qu’à risquer de surdoser avec quelque chose d’artificiel qui a été coupé avec de la crap dont je peux pas faire confiance à 100%, j’aime mieux vivre et être lucide de mon expérience.
Donc, la plupart du monde ne me croyait pas pentoute. Mais moi, on peut dire, que j’étais celui qui était le plus «responsable» de la gang, qui pouvait ramener la troupe à la maison quand tout le monde était fini; j’étais encore pimpant et capable de conduire pour revenir.
Et en général, autour de toi, qu’est-ce que les gens prenaient comme substances?
Ecstasy, MDMA, speed, mush et cannabis. Ça tournait pas mal autour de ça. Le LSD c’est plus rare, c’est plus dans les festivals, pas dans les raves…
Quand t’as été à ce rave-là, est-ce que tu sentais que c’était assez nouveau ou ça faisait quand même longtemps que ça se faisait des raves comme ça?
Non, ça faisait pas longtemps.
Et le rave Shockwave, c’était en quelle année?
Shockwave c’était en 1996 je crois. Et de toute évidence, il y en avait pas une tonne parce que c’était encore vu comme clandestin et problématique au niveau social. Donc pour la plupart des événements, c’étaient surtout des after-hours. Mais quand c’était des gros raves, c’était tout le temps annoncé 24 heures à l’avance sinon c’est sûr que les organisateurs se faisaient rentrer dedans par l’autorité!
À Québec et Montréal, ça roulait déjà depuis un peu plus longtemps parce que les raves d’Europe, des États-Unis, d’Inde (dans la région de Goa), entre autres, inspiraient la scène d’ici à se développer et il y avait des organisateurs qui profitaient des régions plus dense urbaine. Tsé, ça fait quand même depuis les années 70 que ce genre de mouvement de musique électronique côtoient des styles musicaux plus dub, reggae et tous les rassemblements plus hippies ou rebelles de la société!
Tandis que la musique électronique c’est comme une autre branche que ça a pris. Depuis les années 80, tout ce qui était synthwave, hip-hop, acid house, électro, ça l’a embarqué dans le beat électronique jusque dans les années 90. Mais pour les raves, en tant que tels, le Québec était quand même un peu en arrière de la vague au niveau mondial. Mais c’est quand même venu assez vite au niveau métropolitain au milieu des années 90.
Et quand on dit after-hour, on veut dire quoi? C’est quand les bars sont fermés, c’est ça?
C’est quand les bars sont fermés ouais. L’after-hour permanent c’est comme un club un peu clandestin qui commence à la fermeture du bar ou après un rave. C’était tout le temps géré soit par des motards, soit par des gars de la pègre, et des danseuses qui vont continuer leur business là. Mais ça l’a fait quand même runner beaucoup d’artistes de la scène électronique, des DJs émergents et des producteurs de musique électronique.
Ça commençait à 3 heures du matin environ?
Ouais, jusqu’à peut-être 7 à 10 heures du matin. À Montréal, y’avait un after-hour où moi pis Philippe Bergeron on allait: c’était le Chill. Ça s’appelait juste le Chill. Pis ça l’a fait rouler beaucoup de sortes d’artistes de Montréal, toutes sortes de fields musicaux, psychédéliques et éclectiques. C’était dans mon temps de psytrance, d’électro house, d’ambient, de tribal; c’était comme un beau p’tit stage vraiment chill pour se faire connaître.
C’est drôle que t’ais mentionné la région de Goa en Inde parce que moi, dans mes recherches, j’avais pas fait ce lien là, mais pas du tout. J’essayais de comprendre d’où vient le psytrance. Parce que de ce que j’ai compris, la scène psytrance, c’est des festivals qui n’étaient pas exactement comme les autres raves; ça se voulait un peu plus dans la nature, un peu plus conscient. Pis à la base, ça vient de Goa…
Ouais, on peut dire que c’est comme des cousins parce que le psytrance et le goa viennent de la même branche de genre musical. C’est que le goa, ça l’a un aspect plus psycho-spiritualiste au niveau musical; ça va chercher des fréquences plus indiennes, plus transcendantales, éthériques; ça l’a une progression complexe et évolutive au niveau de l’arrangement musical.
Tandis que la trance, vraiment pure trance, c’est comme de l’ancien Tiesto, Armin van Buuren, etc. Eux, leur musique était plus structurée comme une vague que tu pars en transe, mais qui dure longtemps grâce aux mélodies envoûtantes. Ça fait qu’une track pouvait durer 10-20 minutes La même chose pour le goa mais qui sonne plus organique et space.
Plus tard, y’a eu des variantes de goa-trance, de psy-goa et le fameux psytrance, qui lui sonne en général plus cybernétique, machinal et porte une énergie plus funny. Mais dans les années 90, chaque style était pas mal unique. Y’avait pas de goa-trance: y’avait juste du goa, de la trance, et même, y’avait juste du psy, psychedelic; y’avait pas de psytrance. Et après ça, sont venus tous les autres embranchements et fusions de styles super intéressants.
Pis toi, quand t’es allé à ton premier rave, c’étaient quels styles de musique qui jouaient là?
Je dirais surtout du NRG: ça s’apparente plus au hardtek, au techno et au techtrance. Y’avait aussi la forme transcendantale avec les répétitions et les progressions, mais aussi le côté hard et énergétique parce que la rythmique puissante des percussions et les sons analogues du genre 303 (modèle de synthétiseur) étaient très hard et intense. Shockwave c’était vraiment du gros beat et des basses profondes avec moins de mélodies. Donc, ça rentrait plus au poste; c’était très intense haha. Mais un moment donné, je me demandais: où est la subtilité?
Je peux comprendre.
Mais là, quand est-ce que DJ Nuckley apparaît là-dedans? J’imagine que c’était après avoir fait un bon nombre de raves et avoir expérimenté avec un ordinateur? ou juste avec des platines de DJ?
C’est au moment où j’ai vraiment commencé à composer de la musique électronique, j’avais 18 ans, en 1998.
Pis là, t’avais-tu accès à un ordinateur pour faire ça?
J’avais un ordi, ouais, un PC. Je m’étais acheté le programme Orion de Sonic Syndicate et sur ça, je runnais des VSTs (Virtual Studio Technology: des extensions audio) pour générer des sons d’instruments et des effets. C’était dans les premières plateformes comme Cubase. Je pense qu’Ableton Live existait pas à ce moment-là…
Intéressant…moi j’ai jamais entendu parler de Sonic Syndicate; c’est pas de mon époque.
Non hahaha… c’est pas mal avec ça que j’ai commencé, des Boss pis des Roland comme synthétiseurs, drum machines et samplers. Et aussi un audio generator analogue que j’avais pogné dans l’atelier de mon père hahaha.
Ah ouais!
Parce que lui, il réparait de l’électronique et y’avait des vieilles machines des années 60-70 à lampe. Et je lui demandais: «Heille toi, telle, telle affaire, je peux-tu t’emprunter ça pour générer des sons et rentrer ça dans mes séquenceurs?» Faque il disait: «Ouais, ouais, prends ça.» Parce qu’il s’en servait pas de toute façon. Il avait même un appareil avec lequel je pouvais faire des fréquences pures et analogues, générées à lampe. Je passais ça dans des boîtes d’effets pis mon sampler. Donc, je pouvais me faire des séquences pis jouer avec ça.
Et je m’arrangeais pour pas avoir de conversion analogique/digitale parce que dans ce temps-là, les ordinateurs étaient moins rapides, donc la conversion devait quand même être plus basse en résolution; tu perdais de la qualité si tu restais pas analogue. Mais aujourd’hui, c’est pu un problème; les ordinateurs sont rendus tellement rapide que tu peux avoir un super high bitrate (haute qualité numérique) et tu entends vraiment pas la différence avec le son analogue.
Si on y va dans le côté métaphysique, selon moi, l’analogue va toujours prédominer sur le digital. Mais c’est vraiment deux écoles de pensée. Y’en a qui vont dire: «Ah, ça l’a pas rapport; ça change rien parce qu’en fin de ligne, c’est la pulsation dans le speaker qui importe et après ça, c’est juste une wave dans l’air.» C’est vrai, dans un sens, mais la nature même de la fréquence électrique qui arrive dans le speaker est quand même intrinsèquement différente. Donc, y’a une différence à quelque part, mais imperceptible pour la plupart des gens; c’est surtout l’artiste qui détermine s’il préfère un son naturel ou compressé.
Bon, on est rentré pas mal dans le technique, mais là, on va en sortir un peu.
Ouais c’est bon!
Donc, dans le fond, quand tu commences à performer en tant que DJ Nuckley, t’as ton logiciel, mais ça ressemble à quoi tes premières performances? Tu fais ça où? Tu fais-tu plus du mixing ou tu incorpores tout de suite de la composition dans tes mix?
Ben, quand on a commencé, on a fait notre premier événement tout de suite après qu’on ait lâché le cégep. On a fait notre premier événement inaugural…
3 réponses
Ayoye, l’article a tellement passé vite !! J’étais déçu quand j’ai réalisé que c’était déjà la fin quand ça commence à être plus en profondeur dans la production musicale hahaha !
C’était un super article, très bien vulgarisé et ça nous permet de bien saisir les différentes époques qu’il a vécu ainsi que les catégories de styles de musique.
Ça me donne le goût de réécouter du Goa justement !
J’ai hâte à la partie 2 !!
Merci Eric! Mon but était justement de permettre aux producteurs de l’époque de revivre la nostalgie de ces années-là et, en même temps, permettre aux producteurs d’aujourd’hui de comprendre la réalité de l’époque!
La 2e partie va sûrement sortir la semaine prochaine!