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Entrevue avec Carolane Arsenault, co-fondatrice du festival Danse de la Tortue

La Danse de la Tortue est un des festivals transformationnels les plus connus au Québec

Xav: Salut Caro, ça va bien?

Carolane: Oui, ça va bien toi?

Ouais. Tu peux commencer par te présenter.

Oui, moi c’est Carolane Arsenault. Je suis à la co-direction générale de l’organisme REVE nourricier à Sherbrooke en agriculture urbaine et j’ai aussi fondé la Danse de la Tortue en 2017 avec Cédric Bissonnette et Pierre Gilbert. Marjorie aussi, elle était là avec Julien Clot de SymbiOse AlimenTerre. On était tous autour de la table. Mais je dirais que je suis quand même un des piliers central du projet. Là, le projet vient de déménager de lieu, donc il est chez moi et Marjorie. J’ai acheté une terre aussi pour continuer à aller plus loin dans cette direction-là.

Et c’est quoi la Danse de la Tortue?

La Danse de la Tortue, c’est un rassemblement en forêt. On passe quatre jours en camping, puis on est en immersion dans les arts. Il y a tous les arts: cirque, danse, théâtre, musique. Il y a aussi des animations plus déambulatoires ou pour les enfants.

Donc, c’est un festival intergénérationnel. Une célébration, on peut dire aussi. C’est aussi un espace sécuritaire pour que les gens puissent tisser des liens entre eux et adresser la transition socio-écologique, mais de manière un peu créative. On est exposé à des arts, donc ça nous inspire et ça ouvre nos cœurs.

Il y a aussi plein de petits endroits en forêt pour connecter. On peut se rassembler autour des feux, on peut s’asseoir, on s’arrange pour qu’il y ait des espaces de connexion. Donc, ça fait qu’on peut se retrouver avec des gens qui partagent les mêmes valeurs que nous ou qui viennent de d’autres horizons, mais qui regardent dans la même direction que nous. On finit par se rendre compte que la communauté alternative est plus grande qu’on le pense. C’est ça le moteur qu’il y a derrière ce rassemblement-là.

C’est plus un festival ou un rassemblement?

C’est les deux. C’est un festival parce qu’on célèbre. Mais je suis comme mitigé entre choisir rassemblement ou festival. En ce moment, il y a plus de festivals qu’avant, il y a plus d’offres, je dirais. Il y a plus d’offres de retraites, de festivals, de tout type de rassemblement, donc j’essaie de faire un événement qui n’est pas juste un produit de consommation.

Le but, c’est pas de faire de l’argent. Le but c’est de rassembler les gens en nature pour qu’ils soient plus en relation les uns avec les autres, mais aussi avec le vivant, donc la nature au complet. Puis, d’adresser de manière créative la transition socio-écologique. Par exemple, on plante une forêt pendant le festival ensemble.

Donc, le mot «rassemblement» est peut-être moins associé à la consommation?

Oui, j’essaie de promouvoir ce qui est plus axé sur la communauté et la nature.

Maintenant, j’aimerais ça que tu me parles de toi. En général, qu’est ce qui t’a amené à organiser la Danse de la Tortue?

Tout a commencé en 2016. J’étais sur mon chemin vers Burning Man alors que tout à coup, je me suis fait refuser aux douanes. Puis là, j’étais un peu mélangée parce que je m’en allais passer un an aux États-Unis. J’avais vraiment plus d’appartement, plus de meubles, plus rien. J’étais parti pour un gros trip. Puis là, mon voyage s’est arrêté là. C’était un voyage que je voulais faire après avoir passé un été de plus dans l’Ouest canadien.

Je t’arrête deux secondes. Peux-tu expliquer un peu c’est quoi le Burning Man? Après ça, continue ton histoire.

Burning Man, c’est un immense festival qu’il y a dans le désert à Black Rock City. Ça existe depuis plus d’une vingtaine d’années. C’est vraiment une économie de cadeau. Donc, tu vas là-bas, t’achètes un billet, et après ça, tout ce qui se passe là-dedans, c’est juste des dons pis des échanges, pis c’est apparemment super intéressant. Moi, je suis jamais allée, mais c’est une expérience hors du commun dont plusieurs parlent depuis longtemps. Et là, c’est rendu vraiment gros.

Et pour revenir à mon histoire, après avoir été refusé aux douanes, je savais plus trop quoi faire de ma vie, parce que mon plan, c’était de travailler aux États-Unis, surtout à New Orleans, le berceau de la musique. Mais j’ai pas réussi à passer les douanes, donc tout a changé. Finalement, j’ai décidé d’aller à un petit festival, Lush, sur la Sunshine Coast à Vancouver.

Puis un jour, sur une plage, j’ai croisé un gars qui jouait de la guitare. On a commencé à parler, et il m’a dit qu’il voulait me montrer un endroit. Moi, je lui ai dit que j’étais là pour m’ancrer, pas pour socialiser. Mais il a insisté, alors j’ai fini par dire: «OK, let’s go, on y va.»

Il m’a emmené dans la forêt, et j’ai eu un petit doute, surtout quand on a pris une trail après avoir roulé un bon bout. Mais j’ai suivi mon intuition, et finalement, je me suis retrouvé dans un camp de protection d’une forêt sur le mont Stone.

Un camp de protection?

Ouais, on faisait des blockades avec des chefs autochtones pour protéger le territoire parce que les compagnies voulaient couper 3 % de la forêt chaque année. Y’avait des avocats, des gens de la Sunshine Coast, et une gang de jeunes activistes.

C’était tellement aligné avec valeurs. Je me suis dit que si j’avais pas traversé les douanes, c’était parce que la forêt avait besoin de moi. Alors, on a commencé à faire du porte-à-porte pour sensibiliser les gens. Après deux ou trois semaines là-bas, j’ai réalisé quelque chose d’important: c’était pas la forêt qui avait besoin de moi, c’était moi qui avais besoin de la forêt.

Ça m’a marqué profondément. J’étais déjà impliqué dans les festivals au Québec depuis 2012, je produisais des événements underground à Sherbrooke. Et quand j’ai compris l’importance de la forêt, j’ai voulu créer un rassemblement qui, avec le temps, développerait une culture de gens vraiment engagés pour l’environnement.

Quand je suis revenue, j’ai fait une rencontre qui allait être importante pour l’émergence du festival. Tout a commencé avec mon amie Nathalie Champagne, qui a été la fondatrice de Sur les Toits du Monde, un centre de santé holistique à Sainte-Catherine-de-Hatley. C’est un endroit où on peut organiser des retraites et des événements pour la communauté alternative et la permaculture.

Petite parenthèse, ils font aussi du kimchi avec SymbiOse AlimenTerre là-bas. Toute la communauté alternative y passe, c’est vraiment un beau lieu. 

Et, à ce centre-là, j’ai organisé une retraite qui s’appelait Origine.

C’est là que j’ai rencontré une femme qui m’a emmenée chez Pierre Gilbert, le propriétaire du terrain futur sur lequel on allait créer la première Danse de la Tortue.

Ah ok!

Pierre, je l’avais déjà rencontré au festival de musique électronique Eclipse. Il amenait des tipis dans les festivals. Il organisait des fêtes appelées les Vendredis Lune; c’était avant l’ère Facebook; il y a à peine dix ans! Vu que je l’avais déjà rencontré et que je savais qu’il avait une terre, j’ai senti que c’était l’endroit parfait pour créer un festival en lien avec la protection de la nature.

Pierre et moi, on partageait les mêmes valeurs. Ça a été le début d’une grande aventure. Et c’est mon ami Cédric Bissonnette qui m’a donné la confiance pour matérialiser ce festival. Cédric est devenu progressivement mon amoureux à l’époque, et on a lancé ce projet ensemble, avec Pierre.
Très intéressant. Tu vois, moi je savais pas du tout ce background-là par rapport au campement de protection. C’est quand même important, je pense, dans l’origine du festival.

Ouais et disons qu’en chemin, je me rends compte que je me suis un peu éloignée de la track. J’étais tellement dans les arts, avec une passion pour ça, mais je trouve qu’on a un peu perdu le focus environnemental. Au début, mon angle a été beaucoup l’artivisme, donc l’activation sociale par les arts, mais à force d’organiser des grosses programmations en forêt, sans services comme l’électricité, l’eau, ou les poubelles, on s’est perdus dans la logistique.

Avec le déménagement, l’édition 2024 est plus petite et ancrée, avec des moments pour se connecter et discuter de l’avenir du rassemblement, pour qu’on le co-crée ensemble. C’est pas un rave en forêt, c’est pour tout le monde, des familles aux retraités. Si t’aimes la nature, la musique, les arts, c’est the place to be. On a même deux sentiers qui mènent à des lacs, et une fois là-bas, t’as plus envie de partir.

Maintenant, je vais te poser une question plus précise: dans mes recherches je savais pas qu’il y avait un nom pour ce genre de festival-là. Moi j’appellais ça un festival conscient dans le sens où il n’y a pas d’alcool. C’est souvent parce que la plupart des festivals, il y a de l’alcool, on vend de l’alcool, donc plus axé sur la consommation.

Puis finalement, j’ai trouvé un nom pour ce type de festival. Ça s’appelle en anglais transformational festival. Puis en français, il est pas beaucoup utilisé mais j’aimerais ça l’introduire.

Donc, est ce qu’on peut dire que la Danse de la Tortue, c’est un festival transformationnel?

Je te lis la définition que j’ai trouvé très intéressante:

Un festival transformationnel est un festival de contre-culture qui applique une éthique de création de communauté et un système de valeurs qui célèbrent la vie, l’épanouissement personnel, la responsabilité sociale, un mode de vie sain et l’expression créative.

Le terme transformationnel fait référence à la fois à la transformation personnelle, la réalisation de soi et à l’orientation de la transformation de la culture vers la durabilité comme un aspect individuel mais un aspect aussi collectif.

Certains festivals transformationnels ressemblent à des festivals de musique, mais se distinguent par des caractéristiques comme des séminaires, des cours, des ateliers, des cercles de tambours, des installations artistiques et une politique Leave No Trace, en français, Sans trace.

Les festivals transformationnels se déroulent en plein air, souvent dans des endroits éloignés des milieux urbains et sont co-créés par les participantes et participants.

Est ce que ça fait du sens?

La Danse de la Tortue EST un festival transformationnel, certainement. Avant même de l’organiser, je connaissais déjà ce type de festival et j’avais participé à OpenMind, le premier du genre au Québec. J’étais impliquée dès la première année, mais de façon minimale. La deuxième année, je me suis encore plus engagée et j’ai vraiment vécu une transformation. À cette époque-là, les influences psytrance et chamaniques des festivals en forêt étaient encore très présentes.

Maintenant, l’offre est plus diversifiée. Tous les festivals alternatifs ne sont pas transformationnels. J’ai vu la scène évoluer depuis 2011, et parfois on tombe dans des patterns de consommation, même dans des événements de bien-être ou communautaires. On en parlait justement hier. Quand tu te fais dire que 250 $ pour trois jours de spectacles et d’ateliers en pleine forêt, sans services, c’est cher, alors que juste camper coûte déjà 50 à 75 $ par jour, ça montre un manque de reconnaissance pour la vraie valeur des choses. C’est pour ça qu’on fait des festivals comme ça: pour éveiller les consciences et rappeler ce qui a vraiment de la valeur.

Mais justement, parlons-en. Parce que je pense que les gens, parfois, ils vont comparer. Ils vont comparer à des festivals comme Osheaga qu’on connaît bien, puis ils vont se dire qu’il y a des artistes bien plus connus qui viennent de l’international et le prix est presque pareil. Donc, qu’est-ce que tu réponds à ces gens-là?

Et parfois, c’est même moins cher! Par exemple, pour la fête nationale de la Saint-Jean-Baptiste, t’as des artistes super connus pis l’événement est complètement gratuit.

Exact.

Je t’explique. Premier exemple: les produits d’artisanat, la bouffe de ferme. Ta petite tartinade bio du fermier d’à côté, est-ce qu’elle coûte le même prix qu’à la grosse épicerie en ville? Non. Pourquoi? Parce qu’elle est faite avec amour, de manière saine, par des gens qui respectent la terre. C’est pareil pour le festival. C’est un festival artisanal, fait avec amour, par des gens qui vont plus loin.

Deuxième point: l’indépendance. Mon événement, c’est autogéré, autofinancé, par et pour les artistes et les participants. Je crois qu’on n’a pas besoin de subventions pour créer, si on choisit de se soutenir entre nous. Si c’est trop corpo, en général, ça devient une machine à cash. Et si c’est trop subventionné, en général, on perd de la liberté. Je dis pas que c’est mauvais tout ça, mais pour créer quelque chose d’indépendant à l’image de nos communautés, ça prend de l’argent, et cet argent vient de celles et ceux qui achètent leurs billets.

Il faut éduquer là-dessus et valoriser les gens qui payent. Tout le monde veut être bénévole, avoir un billet à moitié prix, mais la vie est chère pour tout le monde. Les gens qui encouragent, ce sont ceux qui ont compris qu’ensemble, on génère l’abondance, et qu’en se soutenant, nos projets alternatifs peuvent continuer d’exister.

T’as dit tantôt que t’as participé à OpenMind. Qu’est ce qui t’avais marqué là-bas?

À OpenMind, ce qui m’a marqué et inspiré pour ce que je crée aujourd’hui, c’est de voir le festival comme une école. On crée un village pour une semaine, où on est en immersion dans ce que la vie pourrait être. Comme un grandeur nature pour bâtir la vie qu’on veut vivre. C’est là que j’ai compris qu’on pouvait s’éloigner de la simple consommation et célébration, pour aller vers quelque chose qui a un vrai impact.

Quand le festival finit, c’est pas juste un bon souvenir. C’est un changement profond. Ça peut toucher à ton alimentation, ton entourage, ton travail. Ça te rapproche de ta vraie nature, et de ta relation au vivant. C’est bon pour tout le monde, surtout pour la santé.

Tu es aussi une artiste dans la scène électronique: DJ Care. Donc, peux-tu me faire un petit résumé de ce qui t’as amené à devenir DJ?

J’adore la danse, et c’est en découvrant les raves à Montréal que je suis tombée dans ce milieu. Avec l’arrivée de la bass music et du dubstep, j’ai vraiment trippé parce que ça mélangeait l’électro et le métal, et y’avait des mosh pits. C’était comme la recette parfaite pour se défouler et avoir du plaisir. Et en même temps, la danse pour moi, c’est libérateur, et partager cette force avec les autres, c’est une célébration.

De 2012 à 2018, j’ai organisé des événements de bass music à Sherbrooke. Je suis devenue DJ à travers ça. Pour ce qui est des styles de musique électronique, j’aime aussi explorer le downtempo, l’organic house, le nu-disco. J’ai organisé des jams avec des musiciens live de tous les styles, mélangeant reggae, disco, hip hop. Pour moi, mélanger les genres, c’est comme la permaculture: ça crée des rencontres, de la vie. C’est ce que j’ai toujours voulu faire avec la musique et les arts.

Pour toi, la danse, c’est quoi? Qu’est-ce que ça apporte?

La danse, pour moi, c’est presque spirituel, comme une cérémonie thérapeutique. Ça fait du bien au corps, à l’âme, aux corps énergétiques. C’est un loisir aussi, pour s’amuser, que tu danses seul, à deux ou en groupe, avec ou sans musique. Ça te sort de la tête pour entrer dans ton corps, et avec des mouvements répétitifs, ça devient presque chamanique.

Danser en forêt, pieds nus sur la terre, c’est puissant. La terre prend ton énergie, et te la redonne, et ça te recharge. Sur le dancefloor, surtout dans les rassemblements, il y a des moments où tout le monde entre en transe ensemble, en communion. On ressent qu’on appartient à quelque chose de plus grand, et c’est là qu’on trippe vraiment.

Est ce que tu avais expérimenté avec des substances dans les festivals? Qu’est ce que ça t’avait apporté?

Quand j’étais plus jeune, j’ai exploré pas mal de substances, comme le speed, l’ecstasy et les champignons magiques. Mais je me suis vite désintéressé, surtout quand l’ecstasy a disparu et que la MDMA et le LSD ont pris le relais. J’ai réalisé que juste avec la danse, la respiration, et les bonnes personnes, tu peux avoir autant de fun sans avoir recours à ça.

Les substances ont longtemps fait partie de ces rassemblements-là pour leur aspect transe et chamanique, mais aujourd’hui, on découvre des chemins moins coûteux et moins nocifs pour atteindre le même état. Par contre, ces substances-là peuvent avoir des bienfaits thérapeutiques pour certaines personnes, comme on le voit aux États-Unis avec des traitements à la kétamine ou la MDMA. Je pense qu’on devrait s’ouvrir à ces usages, sans jugement, en se rappelant que c’est surtout la manière dont c’est consommé qui peut être dangereuse. Bref, c’est un coffre à outils, à chacun de choisir l’outil qui convient.

Et est-ce que la Danse la Tortue, ça se veut un festival plus sobre? 

De mon expérience, c’est un festival très sobre. On encourage les gens à changer leurs habitudes en lien avec la consommation. On ne vend pas d’alcool, mais c’est pas interdit. Moi je prône la liberté qui est une de mes valeurs fondamentales et je veux que les gens puissent se sentir libres d’être comme ils sont. Mais comme c’est familial, je te dirais que le festival porte pas vers la consommation.

C’est quoi ton but dans le fait d’organiser un festival comme ça?

Je le fais parce que ça m’amuse, comme une muse. C’est poétique. Certains peignent, d’autres écrivent des chansons, moi, je crée des rassemblements. C’est mon art, une expression de mon intérieur et de ce que je veux voir dans le monde.

Ça me fait du bien de penser qu’on se rapproche du monde dans lequel j’aimerais vivre, et je sais que ça a un impact sur les gens. Ils me racontent les changements dans leur vie, et ça, c’est motivant. Mais au fond, je le fais parce que ça me fait du bien.

J’aime le fait que tu dises que c’est ton art. Donc ton art, dans le fond, c’est de faire du design d’interactions humaines?

Oui, on peut dire ça. Je joue avec les espaces et les interactions, en mettant le festivalier ou la festivalière au cœur de l’expérience. C’est le chemin que je prends. Quand j’ai commencé avec Basse Culture, je disais que le monde était des «spectres acteurs», pas juste des spectateurs. Tout le monde a un rôle à jouer.

Et moi, c’est comme si je faisais de la culture, que je faisais pousser des communautés d’humains. Quand j’ai créé la Danse de la Tortue en 2016, il y avait une montée de mauvaises drogues dans les festivals, avec des ambulances et parfois des morts. Ça n’avait aucun sens pour moi. Je voulais créer un espace plus sécuritaire, où on peut se libérer, se découvrir, mais dans un cadre intergénérationnel et sain. Parce qu’on a besoin de tout le monde, et la vie est intergénérationnelle.

Donc, est-ce que tu penses que ça peut aider à la transformation de notre société, de faire des festivals dans ce genre-là? Tu m’as dit la dernière fois que vous alliez planter une forêt nourricière? J’aimerais ça que tu me parles un peu de cet aspect du festival, de la relation entre l’humain et la nature.

Depuis la première danse, on a mis en place une initiative pour améliorer notre relation à la nature et réduire l’impact écologique du festival. Contrairement à des gros événements comme Shambhala ou Burning Man qui laissent une grosse empreinte, on voulait un rassemblement plus respectueux. Alors, on a demandé aux participants de donner 10¢ par kilomètre parcouru pour replanter des arbres afin de compenser pour les émissions de carbone. C’est une contribution volontaire, et les gens adorent ça.

Depuis trois ans, on plante les arbres avec REVE nourricier, une entreprise sociale spécialisée en agriculture urbaine, forêts nourricières, et infrastructures vertes, dont je fais partie. L’argent qu’on collecte sert à créer une forêt nourricière sur le site de la Danse de la Tortue.

Cette année, on a un nouveau site, donc première plantation. Chaque année, on plante avec les gens pour faire grandir cette future forêt, et un jour, on va récolter les fruits ensemble. Comme le festival se déroule pendant les récoltes, ça va devenir un moment fort.

On plante des espèces d’arbres avec différents cycles, donc il y aura toujours quelque chose à récolter. On passe l’année à préparer ça et le festival permet à tout le monde de profiter de l’abondance qu’on aura créée ensemble. Le but, c’est pas juste de nourrir tout le monde, mais d’inspirer à faire des actions qui génèrent de l’abondance, qui embellissent nos vies, et qui nous reconnectent avec la terre. Je pense que de participer à un projet comme ça, ça peut vraiment changer la vie de quelqu’un.

Tu parles souvent de l’importance de la relation avec le vivant. Peux-tu m’en dire plus?

Je pense que tout ce qui est autour de nous est vivant, avec une mémoire, et on a une relation avec ça. Quand t’es en camping, en pleine forêt, tes sens s’aiguisent. Tu remarques la petite mousse, le champignon, l’arbre, ou même quand il n’y a plus d’eau pour laver la vaisselle, tu te rends compte combien c’est long d’aller en chercher. Ça te force à ralentir, à vraiment voir la valeur des choses, à te reconnecter avec la nature, et ça, c’est transformationnel.

Être immergé dans un environnement plus sauvage, plus lent, ça nous rappelle comment on vivait avant, quand tout le monde faisait son pain, avait un jardin, quand tout prenait du temps. Ça réveille des instincts, des mémoires enfouies. Tu réalises tout le travail que ça demande juste pour faire du feu ou monter un tipi. On est tellement détachés du vivant, qu’on oublie d’où viennent les choses qu’on consomme.

Et puis, on est responsables de nos déchets ici, y’a pas de poubelles. Ça te fait prendre conscience de chaque déchet que tu crées. On est encore loin d’être vraiment connectés à ça, mais peut-être que dans 20 ans, on sera plus près d’une vraie responsabilité écologique.

Tu m’as parlé l’autre fois du sentiment d’appartenance à travers la participation des gens. Peux-tu m’expliquer?

La Danse de la Tortue c’est un événement participatif et co-créatif. Par exemple, durant le festival, il y a toujours quelque chose à faire: remplir des bidons d’eau, aider à la cuisine, etc. Même si on a des bénévoles, les gens qui veulent aider sont les bienvenus.

La co-création se retrouve surtout au niveau des discussions ouvertes et les ateliers, ou même dans les spectacles participatifs où le public peut chanter, danser, et s’impliquer. Et cette participation permet à tout le monde de ne faire qu’un. Ça fait qu’on se retrouve dans une organisation plus horizontale.

Je pense que cet aspect co-créatif amène un sentiment d’appartenance à une culture. Tu sais, une culture, c’est tout simplement un groupe de personnes qui partagent des habitudes et des valeurs communes.

Et aujourd’hui, dans un monde changeant, avec des gens de partout dans le monde, on se demande: c’est quoi, au fond, notre culture, notre appartenance à un groupe? Eh bien, c’est ce qui nous ancre, ce qui donne un vrai sens à nos vies. Ça donne du sens à nos vies de participer de manière authentique à des choses qui nous font du bien.

Je te dirais que les valeurs principales du festival sont le sens, la santé et la connexion.

Et si on compare avec la culture plus commerciale, j’imagine qu’on est beaucoup plus passif dans ces événements-là?

Oui, on est passif. Dans les gros festivals, on est avec notre petite clique d’amis, c’est le fun et on a des souvenirs entre amis. Tandis qu’un rassemblement plus transformationnel, tu peux y aller tout seul et te faire des amis.

C’est plus facile de se faire des amis?

Oui, c’est plus facile d’entrer en contact. Plus facile d’avoir des discussions profondes, plus facile d’être vulnérable. Les émotions sont bienvenues. On essaye d’être dans l’absence de jugement. On est dans des espaces qui sont très ouverts. Ce qui est plus marginalisé dans le mainstream est permis dans les rassemblements plus alternatifs.

Un autre aspect de la Danse de la Tortue, c’est que c’est dans la forêt. Par le passé, j’ai eu des programmations très chargées, puis avec les années, je la décharge tout le temps. Et actuellement, j’arrive à quelque chose qui est assez épuré parce que je veux encourager les gens à avoir «rien à faire». Je fais ça pour voir qu’est-ce qu’ils vont faire quand ils se retrouvent avec cette sécurité-là, mais avec rien d’autre à faire «qu’être là». C’est comme ça qu’on va commencer à Être, tout simplement.

On peut dire que tu aimes laisser place à l’improvisation? Que les activités puissent émerger spontanément?

Exact, je veux que ça émerge spontanément. Quand il y a des temps morts, au début, c’est comme s’il se passait rien. Et soudain, y’a une personne qui décide de commencer un jeu pour qu’ensuite, tout le monde finisse par embarquer aussi. On peut tous jaser autour du feu même si on connaît le nom de personne. On discute de nos valeurs, de ce qui se passe en politique, sans avoir besoin de se présenter. Ça apparaît, juste comme ça, parce que le cadre est sécuritaire. C’est ça, le design. Y’a quelqu’un qui a pensé à ça derrière.

Est-ce que tu aurais un dernier mot à dire à la prochaine génération qui va organiser des festivals transformationnels?

Ouais. Faites pas ça pour faire de l’argent. Surtout pas quand c’est en lien avec le bien-être. Et faites un effort pour qu’il y ait le moins de technologie possible dans vos rassemblements. Ça, c’est un conseil personnel.

Carolane Arsenault, co-fondatrice du festival Danse de la Tortue - Crédit photo: Karine Couillard

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